Nouvelle d’ambiance – Rendez-vous

Sous les arches gravées d’Arksar, le fondateur de la grande cité d ‘Eminrad, Darlan s’avança. La place ronde et creuse grouillait d’individus sous l’astre du jour ardent. Les milliers de personnes qui s’activaient devant lui faisaient lever la poussière crasseuse en un nuage de terre epais qui ralentissait ses maigres jambes de jeune symir .
Difficile de se frayer un chemin dans la horde de marchands, filous, alpagueurs, quémandeurs de toutes espèces qui gagnaient leur subsistance quotidienne en revendant les épices de gloum succulentes, les sacs de brotchi pleins à craquer, ou qui, à l’entrée de leur échoppes, faisaient jouer leur muscles au dessus du métal qu’ils forgeaient.

Darlan, alors qu’il progressait, sursauta deux ou trois fois, supris par les pattes aggressives de drakzims qui dépassaient d’entre les barreaux des cages chauffées où ils étaient enfermés. Des hominus en combinaison de voyage le frôlaient de leurs auras mystérieuses et piquantes, inconscients de sa présence insignifiante et anonyme de symir des campagnes, bouseux naïf et inexperimenté.
Une main malfaisante s’immisça dans son havresac, et à peine eut-il le temps de tirer violemment sur la anse pour y échapper qu’il buta sur la poitrine dure d’un autre citadin dont le regard noir acheva de le faire déguerpir dans la masse. Il aurait voulu retourner dans sa chaumière douillette, mais il ne pouvait rater le rendez-vous que lui avait donné le guerrier : dans deux jours, à midi, au centre de la place des portes d’Arskar, près de l’estrade du Proclamateur public.

La ronde des personnes l’étourdissait comme un tourbillon de chairs et d’étoffes, d’autant plus dangereuse qu’elles lui étaient nouvelles et inconnues. La Porte des Terres Fertiles offrait un désordre cosmopolite.
Les voleurs augmentaient dans la mêlée, leurs mines patibulaires se succédaient avec celles des mercenaires skeltus. Tout le monde était toujours plus près, les corps pareils à des parois de chair se resserrant autour du symir, qui étouffait. Il y avait aussi des escorteurs en nombre au fur et à mesure qu’il approchait de l’estrade.
C’était le spectacle particulier d’une minuscule scène entourée d’un large public. L’importance passait par l’humilité, selon les principes de la philosophie locale, les personnages les plus prestigieux devant se hisser aussi peu que possible au-dessus du public, le plus brassé socialement possible. Beaucoup de riches étrangers influents voulaient assister au divertissement oratoire du maitre Proclamateur, d’où le grand nombre de soldats de fortunes, engagés pour repousser les tentatives criminelles des rape-bourses présents ici.

Darlan se fraya un chemin vers l’épicentre du mouvement, et aperçut enfin, derrière la structure de bois principale, la silhouette étroite du guerrier. A ce moment, il avait plus l’apparence d’un assassin que d’un combattant, tant et si bien qu’une impression de vague doute quant au personnage affleura à la surface de son esprit agricole. Le ciel commençait à s’empourprer à cause de l’approche de midi, les ombres s’allongeaient étrangement sur le sol, comme animées d’une vie propre et difforme. Cette fascinante expérience déconcentra le symir, qui fut emporté quelques minutes dans la bousculade qu’initiait un imposant skeltus aux contours aiguisés envoyant valdinguer un atridan rondouillard, qui clapota de douleur.

Darlan se dégagea tant bien que mal de la masse de viandes empilées par la bagarre, et se hâta de fuir. Dans le brouhaha, il contourna l’estrade où s’agglutinaient les curieux, appelant du regard le guerrier qui ne semblait pas encore le voir. Sous sa capuche, deux petits points brillants signalaient la présence d’yeux, et l’humble fermier, qui fremissait quand l’ancien de la maisonnée racontait des histoires effrayantes, se les imagina perçants comme ceux d’un oiseau de proie. Arrivé à sa hauteur, le symir tira sur l’étoffe de la cape de l’humanoïde, qui fini par lui porter attention, baissant sa tête perchée sur son haut corps. Il n’avait vraiment pas grand chose d’un guerrier. S’il avait une armure et une épée, elles étaient bien cachées sous la sinistre cape sombre qui le recouvrait de la tête au pieds. Pas un mot ne sortait de sa bouche dure et serrée. Le petit paysan hésita une seconde avant de lui adresser la parole.

-Monsieur Markor… Rien. -Monsieur Markor, je suis soulagé de vous voir. Toujours le silence. -Monsieur Markor, j’ai apporté ce que vous m’aviez demandé… -Faites voir, dit enfin le guerrier d’une voix grave et âpre, en ouvrant la paume de sa main.

Darlan ne se fit pas prier. Il farfouilla dans son sac avant d’en ressortir une bourse en cuir qu’il remit à l’inquiétant personnage. Markor s’en empara prestement avant de la faire disparaître dans les replis de sa cape, découvrant une armure de cuir légère et le fourreau ouvragé d’une épée attachée à a jambe… Cet individu avait l’air de cacher bien des choses.

-Je vous ai apporté ce que vous vouliez, chuchota Darlan, impressionné par la stature de son interlocuteur. Maintenant, allez vous bien m’aider dans mes recherches ?

Le guerrier le considéra un instant sans rien dire.

-Suivez moi, finit il par prononcer en lui tournant le dos, et en partant en direction de l’extérieur de la place. Le symir s’empressa de lui emboiter le pas. Une clameur de vivats et de cris commença à enfler dans la foule. Un sillon se creusait dans la cohue : le Proclamateur arrivait…

Vincent PALACIO

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